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paimboeuf2
             

              Les romans de Paul Perret ne tiennent pas toujours les promesses de leurs entames. Maître dans l’art de planter un décor, l’écrivain a alors des pages inspirées où l’élégance de son style s’accorde à l’évocation des lieux familiers.
             Dans le roman La fin d’un viveur publié en 1875, il raconte l’histoire d’Elisabeth fille d’un capitaine de navire de Paimbœuf, l’action se situe lors de l’été 1870.

              Ville natale de l’écrivain mais « petite ville mourante », Paimbœuf est ici observée par l’héroïne depuis la maison du marin sur le quai.

 

              La grande Loire; pendant la saison humide si longue en ce pays, roulait à perte de vue ses eaux jaunâtres sous un ciel pluvieux. L'autre bord se dessinait à peine dans la brume : des îlots s'élevaient çà et là avec leur verdure fangeuse; les navires descendaient ou remontaient lentement. L'étendue de l'eau s'élargissait encore du côté de l'ouest et se confondait avec les nuées ; là était la mer. Rien ne changeait jamais dans ce spectacle monotone […] rien que la direction du flot selon le cours de la marée. Parfois un steamer filait son grand train d'enfer, s'entourant de bruit et d'écume. Deux fois par jour le bateau à vapeur venant de Nantes abordait au quai; ou bien encore l'un des bâtiments qui se balançaient en rade apportait des marins à terre.

 

             Puis vient l’été, ici le dernier avant la guerre et l’année terrible.

 

             Dans cette saison, si belle et si courte, la petite ville mourante reprend soudain un semblant d'existence bruyante et précipitée; Ainsi le veulent la nature et la mode, cette dernière puissance demeurant, au reste, toujours supérieure à l'autre. Le ciel se montre radieux, ou tout au moins n'est plus couvert que d'un léger voile de brume flottante et argentée qui se déchire pour livrer passage à des rayons presque vigoureux. Il arrive même à la Loire d'être pleinement ensoleillée. Le flot a changé de couleur : il n'est plus jaune; il n'est que trouble; la verdure des îles s'est rajeunie; l'herbe grasse ondoie par grandes nappes vertes. Le vent enfle avec des caresses les lentes voiles des grandes gabarres qui remontent le fleuve, et les matelots, dont la pluie a cessé de fouetter le visage, chantent pendant la manoeuvre à bord des trois-mâts.

             C'est le triomphe de l'été sur ces régions moroses ; c'est aussi la saison des bains de mer. Elle n'a guère plus de durée que le carême ; seulement, ce n'est pas un temps d'abstinence, il s'en faut bien.

             Paimboeuf est le chemin de Pornic et des petites stations voisines. Les baigneurs y passent en foule, venant de Nantes, des villes de la haute Loire, et même de Paris. Le bateau à vapeur les rend à la terre ferme vers neuf heures et demie du matin. C'est alors un tumulte, une mêlée indescriptible, une course furieuse vers le bureau des diligences qui doivent conduire tout ce monde à la côte prochaine. Des familles entières se précipitent, père, mère, enfants et servantes, se tenant par la main comme des sarabandes affolées. On fait l'assaut des véhicules : des diligences en effet, deux vraies diligences, puis des chars-à-bancs ; Tout ce qui est monté sur roues a été mis en réquisition ; et l'on s'entasse, et l'on s'empile avec des cris, des querelles, parfois même des horions.
 
             La diligence roule vers Pornic qu’elle atteint le soir

 

            On était tout près d'entrer dans Pornic. La voiture roulait sur une pente rapide bordée de maisonnettes ; on traversait déjà le petit faubourg rustique habité par des cultivateurs, et qui précède la jolie villette où s'entassent les baigneurs de la saison. La brise marine arrivait jusque-là par bouffées tièdes et vivifiantes ; au tournant de la route, la baie, le port, la ville, apparurent sous le ruissellement de la lune. La marée montait presque sans bruit, car la mer était unie et blanche comme la surface d'un glacier. Deux étages de maisons grimpaient sur la falaise, couronnée à sa cime d'élégantes villas bordées de terrasses où croissent le chêne vert et le. figuier. Les bateaux de plaisance et les barques de pêcheurs amarrés au quai se berçaient sur le flot. A l'entrée du port, le donjon, l'antique demeure de Gilles de Retz, —M. Barbe-Bleue — projetait avec ses deux tours encore debout et ses massifs de vieux arbres une ombre muette et profonde. La diligence franchit un pont jeté sur le petit bras de mer qui s'enfonce au loin dans les terres cultivées ; clic clac... elle s'engagea dans l'intérieur de la ville. Le fouet retentissait, les grelots résonnaient à travers les rues étroites et tortueuses. Une troupe de promeneurs qui revenaient de l'excursion de la soirée à la côte durent se réfugier sous le porche de l'église; les femmes encapuchonnées de blanc glissaient comme des fantômes à l'ombre de ces vieux murs ; les enfants poussaient des cris mêlés de terreur et de joie à la vue de cette machine roulante qui faisait un bruit d'enfer. Enfin on arriva devant l'hôtel de la Poste. Beaucoup de personnes se tenaient là pour voir arriver la voiture du soir …

 

                                                                                                     Paul Perret, La fin d’un viveur  éd. Dentu Paris 1875
                                                                                                                         (sources BNF Gallica)

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