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Un soir quelqu’un se présente à sa porte.

Entrez, dit-elle ; aussitôt de Farel

La grande voix lui dit : je vous apporte

Les Saints Écrits qui nous parlent du ciel.

Comme un trésor recevez-les, Madame ;

Du monde impur et de ses voluptés

Vous apprendrez à fuir les vanités,

Et trouverez le repos de votre âme.

 

                Pasteur Daniel Benoît[i]

 

 

            « Il y a dans la vallée du Rhône et non loin de Valence, adossé à un chaînon des Alpes, un petit village dont le passé religieux n’est pas sans intérêt. On y est hérétique de temps immémorial. » Ainsi débute l’étude historique que le pasteur Théophile Vernier a consacré à La Baume Cornillane en 1906[1]. Une des figures centrales de son évocation est la dernière héritière de l’antique maison des Cornillan qui a donné son nom au village. La figure de Catherine de Cornillan (vers 1500-1580) est bien réelle mais son histoire vaut surtout par la fidélité revendiquée à une foi qui prend ses racines dans l’épopée Vaudoise. L’apport de la tradition et la quête identitaire des pasteurs érudits du XIXe siècle en ont fait une belle histoire que les descendants des participants du Camp de l’Éternel[2] ont évoquée dans un son et lumière qui attira les foules à la Baume jusqu’en 1968[3].

 

            Adossée à la Raye, contrefort du massif du Vercors qui fait culminer à 1000 mètres son territoire, La Baume Cornillane, village du Dauphiné, domine de son coteau la vallée du Rhône avec, à l’horizon du coté de l’occident, les montagnes du Vivarais et, proches, du côté de l’orient, les montagnes du Levant, refuges des Vaudois persécutés dans les siècles qui précèdent. Je devrais parler de Drôme et d’Ardèche mais ces noms n’évoquent que des rivières au temps de Catherine. On vous y montrera la grotte de la Dame, les plus savants vous diront que Balma est le bas latin de « grotte » et que la tradition raconte qu’une dame du village ayant refusé d’abjurer le protestantisme au XVIe siècle, y fut enfermée. Il n’en faut pas plus pour évoquer la figure de Catherine que l’on imagine plutôt habitant le château bâti par ses ancêtres dont les ruines dominent le village. Là, sur le coteau se dressent les pans de murs d’une forteresse et les vestiges du village fortifié construits au XIIe siècle par les premiers Cornillan[4], féodaux émancipés du royaume d’Arles. Si j’ai évoqué le Vivarais du côté du Couchant, c’est qu’au temps de dame Catherine et de ses prédécesseurs, il fait l’objet des attentions des seigneurs de la Baume. Depuis que Pierre, le trisaïeul de la châtelaine a épousé l’héritière de la seigneurie de Burzet[5], les seigneurs de la Baume partagent leur temps entre deux châteaux situés de part et d’autre de la vallée du Rhône. Burzet est un bourg important du Vivarais au fond d’une jolie vallée où coule la Bourges. Dans les idées d’autrefois, note l’abbé Paquet[6], le Vivarais proprement dit finissait à Burzet. Après ce bourg, c’était la montagne et le pont qui franchit la Bourges séparant Burzet en deux quartiers appelé pour cette raison le pont du Vivarais. Quelques pierres du château, ruines moins imposantes qu’à la Baume, se laissent deviner encore autour du rocher qui domine le village. Au Moyen-âge, Burzet est un centre économique agricole important au débouché des chemins muletiers qui descendent du plateau où domine le Gerbier de Jonc ; en population, il est alors le troisième lieu habité du Vivarais.

 

            Née sans doute avant 1500, Catherine de Cornillan est la fille d’Albert de Cornillan. Le 12 décembre 1508, celui-ci est au château de Burzet et proteste contre les conditions de reconstruction de la chapelle seigneuriale dédiée à la Vierge dans l’église rebâtie à neuf depuis peu.[7] C’est l’un des nombreux actes du chartrier des seigneurs de Burzet[8]. Albert fait son testament au château de la Baume le 27 septembre 1521[9]. Il ne se résigne pas à être le dernier de son nom et institue Catherine son héritière sous conditions de porter son nom et les corneilles figurant sur les armes parlantes de la famille. À l’heure du bilan, c’est sans doute lui qui fait graver dans un mur du château[10] :

 

IBI LONGE BEATUS FUI

MDXXI

(Ici, j’ai été longtemps heureux, 1521)

 

            Premier exemple de texte confié à la pierre, il témoigne d’une époque de paix à l’intérieur des frontières du royaume, elle ne va pas durer. C’est le temps où Catherine épouse un guerrier : Tiers (ou Thierry) d’Urre[11], que sa bravoure fait nommer Tartarin, le surnom n’a pas encore la connotation de matamore vantard qu’aura le nom du héros d’Alphonse Daudet, il ne doit sans doute son origine qu’à l’hypothétique bravoure du guerrier Tartare[12]. Compagnon de Bayard dans les guerres d’Italie, il rompt trois lances en tournoi avec lui avant de partir à la conquête de Naples[13]. L’affaire est narrée par le Loyal Serviteur, premier biographe du chevalier sans peur et sans reproche :

            « Si convint au bon chevalier [Bayard] se présenter le premier sur les rencz, et contre luy vint un sien voisin du Daulphiné, nommé Tartarin, qui estoit fort rude homme d’armes. Si laissèrent courre l’un à l’autre, de sorte que ledit Tartarin rompit sa lance à demy pied du fer, et le bon chevalier l’asséna au hault du grand garde-bras et mist sa lance en cinq ou six pièces ; dont trompettes sonnèrent impétueusement, car la jouste fut belle à merveilles. Et après avoir parfourny leur poindre[14], retournèrent pour la seconde, et fut telle l’adventure de Tartarin que sa lance faulsa le garde-bras du bon chevalier à l’endroit du canon ; et cuydoient[15] tous ceulx de la compaignie qu’il eust le bras percé. Ledit bon chevalier luy donna au dessus de la veue[16] et lui emporta  ung petit chapelet plein de plumes. La tierce lance fut aussi bien ou mieulx rompue que les deux autres. » [17]

Tournoi d’Ayre, juillet 1493

dessin de M. Tofani

gravure Navellier et Marie

Jacques de Mailles La très joyeuse, plaisante et récréative histoire du gentil seigneur de Bayard composée par le Loyal Serviteur

édition de Louis Moland 1882

source BNF Gallica

 

            C’est sans doute au retour des guerres d’Italie que Tartarin, figure de la chevalerie de la fin du Moyen-âge idéalisée par l’épopée de Pierre Terrail, épouse dame Catherine. Il est alors capitaine de cent archers de la garde noble de François Ier et prend le nom d’Urre de Cornillan. Le roi a coutume de dire « qu’il prendroit Tartarin pour un de ses seconds s’il avoit à se battre en particulier contre Charles-Quint.[18] » Son père passe pour être mort lors du désastre de Pavie. Catherine ne semble pas avoir fréquenté la cour où brille sa cousine Diane de Poitiers[19].

            En octobre 1543, Tiers et Catherine sont présents à Burzet pour des permutations de censives[20], l’acte est passé au château[21] « dans la chambre appelée de Madame ». Hasard de son décès (vers 1545) ou volonté d’attachement à sa nouvelle seigneurie, le chevalier Tartarin confie ses os à la terre vivaroise. Il laisse quatre filles, Honorade, Blanche, Catherine et Louise, et deux fils, Guillaume qui meurt vers 1555 et Charles qui lui succède dans les deux seigneuries. Dans ces années centrales du siècle, qui vont voir Catherine de Corneilhan dame douairière de la Baume et de Burzet survivre à son mari et à la plupart de ses enfants, vont se jouer la conversion du village dauphinois à la Réforme et l’établissement du culte dans le bourg du Vivarais. Dans l’un et l’autre lieu, le terreau était prêt, les signes de révoltes et de répressions bien présents dans le passé des communautés.

                                                                      

                                                                                  PatBdM (à suivre)

 

[1] La première édition est intitulée Un village protestant du Dauphiné : La Baume-Cornillane. Elle prenait la suite d’une notice rédigée par le pasteur Vérot de la Baume à la fin du XIXe siècle. Une seconde édition augmentée paraît en 1966, préfacée par le pasteur Jean Cadier, ancien doyen de la faculté de théologie de Montpellier. Prenant acte de la diminution de la part protestante de la population (60% alors) elle a pour titre : La Baume-Cornillane, un village du Dauphiné  (Imprimeries réunies, Valence sur Rhône).

[2] Le Camp de l’Éternel est une assemblée de réfugiés protestants chassés de leurs foyers  qui se réunit à la Baume en août 1683.

[3] Le souvenir de ce son et lumière (1963 à 1968) a été évoqué lors d’une exposition à La Baume Cornillane lors des Journées du Patrimoine 2016. Bulletin municipal de la Baume Cornillane N° 55, janvier 2017.

[4] Les premiers connus : Pons de Cornillan et sa femme Adélaïs vivaient en 1128.

[5] Pierre de Cornillan épouse Alasie de Burzet (aussi appelée Boquine) vers 1374.

[6] Abbé Adrien PAQUET, Le prieuré de Burzet jusqu’à la fin du XVe siècle, vers 1932. Étude inédite publiée par Charles Besson dans le recueil Une paroisse du Vicarais Burzet, 1996.

[7] Charles BESSON et Anne-Marie MICHAUX, Burzet et ses seigneurs, Tome 2, 2007, p. 171.

[8] Fonds Durfort aux Archives départementales du Loir-et-Cher.

[9] Marquis de BOISGELIN, Les Adhémar, généalogie 1ère partie, Draguignan et Aix en Provence 1900. p. 295

[10] Pierre  détachée du château et scellée dans une remise au milieu du XIXe siècle. La Baume-Cornillane, un village du Dauphiné  2e éd. 1966, note p. 40.

[11] Famille aux multiples branches, elle est attachée à la terre et au château d’Eurre proches de la Baume. La généalogie de cette famille a été publiée par l’abbé Jean-Antoine Pithon-Curt dans son Histoire de la noblesse du Comté-Venaissin d’Avignon et de la principauté d’Orange, tome 3e, Paris 1750, pp.574-622. Puis reprise par le marquis de Boisgélin dans la seconde partie de sa généalogie des Adhémar (pp. 262-336).

[12] Le dictionnaire historique de la langue française prête à Daudet ou à son époque l’origine du surnom, on voit ici qu’il n’en est rien.

[13] L’action est située sous les remparts de la ville d’Ayre  (aujourd’hui Aire-sur-la-Lys),  en juillet 1493. Le héros est peut-être le père de Tiers d’Urre, Antoine, supposé mort à Pavie (1525) les surnoms se transmettent parfois de père en fils.

[14] fourni leur course

[15] croyaient

[16] visière

[17] Jacques de Mailles La très joyeuse, plaisante et récréative histoire du gentil seigneur de Bayard composée par le Loyal Serviteur. 1ère édition 1527. Edition de la Société d’histoire de France par MJ Roman, 1878.

[18] Histoire généalogique de la maison de Beaumont en Dauphiné, Tome 1er contenant l’histoire, Paris, imprimerie du cabinet du roi 1779, p. 176.

[19] Toutes deux descendantes d’Aymard V de Poitiers, comte de Valentinois (v 1257-1339).

[20] Droits féodaux.

[21] Charles BESSON et Anne-Marie MICHAUX, Burzet et ses seigneurs, Tome 2, 2007, p. 174. Les droits échangés portent sur des près, vignes et « chastanhetz » que les seigneurs cèdent contre la concession d’un moulin bâti sur le rieu de Chadenet.