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Le Bourg-des-Moutiers et son patrimoine (1)

Parmi la cinquantaine de communes du Pays de Retz, pour la plupart issues de regroupements humains initiés au Moyen-Âge, le Bourg-des-Moutiers (nom ancien de la commune des Moutiers-en-Retz) mérite une place particulière par l’histoire de son peuplement et l’ancienneté de son patrimoine. Parmi les édifices conservés, deux bénéficient du classement au titre des monuments historiques : la chapelle de Prigny et la lanterne des morts située dans l’enceinte de l’ancien cimetière du bourg. L’église Saint-Pierre des Moutiers, la plus ancienne des églises paroissiales du Pays de Retz, complète cet inventaire qui serait incomplet sans l’évocation d’un bâti disparu mais documenté.

La commune actuelle s’est constituée à partir de deux entités de peuplement : le bourg castral de Prigny et le bourg prieural des Moutiers. Le finage ancien montre une extension du parcellaire suivant le trait côtier, vers le nord-ouest en direction du Clion, cette partie est largement amputée par la création de la commune de la Bernerie en 1863, et vers le sud suivant l’extension millénaire de la flèche dunaire du Collet. Des lieux de peuplement plus dispersés gardent le souvenir de constructions anciennes : Le Collet où une gentilhommière de la fin du XVIIIe siècle a succédé à un château ayant joué un rôle important lors de la guerre de succession de Bretagne (XIVe siècle) l’hébergement du Bois des Tréans, manoir disparu ayant appartenu à Gilles de Retz, la Rairie, une maladrerie où s’élevait une chapelle dédiée à Saint Ladre encore visible à la fin du XVIe siècle.

L’évocation du bâti ancien résiduel constituant le riche fond patrimonial de la commune est précédée de réflexions sur les circonstances qui ont présidé aux regroupements humains à son origine.

1/ LA NAISSANCE D’UN BOURG

Sans évoquer de façon exhaustive l’histoire de la commune, Il importe de rappeler le développement relatif des deux principales unités constituant son habitat en proposant ici de porter l’accent sur la plus récente et la mieux documentée, ce Bourg-des-Moutiers, dont le nom même rappelle la double fonction, spirituelle et économique, que lui ont assigné ses fondateurs.

A l’origine du peuplement

L’ancienneté de peuplement du territoire de Prigny est attestée par de nombreux vestiges et l’étude de deux fours à sel, découverts, le premier, sur le haut du coteau dominant la baie, il est daté du premier siècle avant notre ère, le second, postérieur à la conquête romaine, situé plus près de l’ancienne rive à mi-chemin de Prigny et du bourg (actuel camping municipal). Le docteur Tessier dans sa thèse sur les occupations humaines de la côte du Pays de Retz accorde une grande importance à l’ensemble Prigny – les Courtes. Les observations des historiens du XIXe siècle, ses propres recherches et les découvertes de l’archéologie préventive permettent d’établir la présence d’un camp gaulois sur l’éperon rocheux de Prigny, du village des Courtes et de l’enclos des Noës reconnus en 1993 lors de travaux d’élargissement de la Route-bleu. La période gallo-romaine ne dément pas cette occupation probablement dopée par l’industrie protohistorique du sel. Un bâti fait de pierres et de tuiles fait son apparition, attesté par l’observation de nombreux débris de tegulae (tuiles plates gallo-romaines) à la Rairie et aux Courtes. À l’est de Prigny, un secteur portuaire s’amorce à l’embouchure du futur étier de la Charreau Blanche (étier de Millac) mais des installations artisanales existent déjà plus à l’ouest le long du rivage comme l’atteste la présence près du futur bourg d’un four à sel du premier siècle de notre ère.

Le haut Moyen-âge L’absence de fouilles significatives ne permet pas de définir précisément la chronologie du site de Prigny. La présence d’une villa (dans le sens de domaine foncier lié à un habitat) sur le secteur de la Rairie - les Courtes est probable et une agglomération liée à l’économie maritime se développe près du promontoire qui domine le port. Le développement d’un pouvoir civil contribue sans doute à l’amorce d’un bâti monumental qui reste cependant hypothétique jusqu’aux abords de l’an Mil. Tout au plus, peut-on imaginer une première tour de défense, probablement en bois, sur la butte artificielle couronnant le massif rocheux.

Sur le site du futur Bourg des Moutiers, la documentation et l’approche archéologique, même empirique, permettent d’apporter un éclairage plus précis sur le haut Moyen Âge. L’arrivée du christianisme et la modification des pratiques funéraires sont probablement à l’origine du regroupement qui s’opère en marge du site de Prigny. Aux environs du VIIIe siècle, les sépultures se rassemblent puis se rapprochent des vivants, rompant ainsi avec les pratiques de l’antiquité. Il existe bien un champ des morts à Prigny mais situé en dehors de l’enceinte de l’oppidum qui se constitue. Sous la place de l’église des Moutiers, le hasard de travaux de terrassement révèle à plusieurs reprises des tombes enfouies entre 70cm et 1m50. Constituées de pierres de schiste debout en guise de paroi, les coffres funéraires sont fermés par des pierres d’un seul tenant du même matériau ou en calcaire coquillé. En 1961, un petit vase découvert dans l’une de ces sépultures a été présenté par Mr Boutin à la Société nantaise de préhistoire qui l’a daté de l’époque mérovingienne (Ve – VIIIe siècles). Les emplacements de ces découvertes sur une surface plus importante que celle de l’ancien cimetière déplacé en 1869 à la sortie du bourg, plaident pour une nécropole d’importance, non datée précisément, mais dont l’ampleur laisse imaginer une constitution bien antérieure aux années 750 qui voient la fin des temps mérovingiens. Dès lors la question se pose de l’origine de cette nécropole : Correspond-elle à un type ancien dit « de plein champ » et christianisée antérieurement comme peut le laisser penser son ancienneté où est-elle le signe d’un regroupement autour d’un lieu de culte comme on le constate plus fréquemment aux temps carolingiens ? La question est d’importance car elle détermine l’origine de l’habitat regroupé du bourg. Un oratoire consacré à la vierge, premier signe de cette christianisation et plus ancien édifice religieux documenté du territoire de Prigny est érigé dans la nécropole par les moines philibertins de Noirmoutier lors de leur extension autour de la baie. Sa construction est antérieure aux destructions normandes qui culminent au milieu du IXe siècle.

L’oppidum de Prigny au XIe siècle

Au moment où la vicaria de Rais, circonscription du royaume carolingien devient bretonne (851), le site fortifié de Prigny est investi par les normands puis devient à son tour au siècle suivant le siège d’une viguerie, circonscription territoriale du comté de Nantes. Dans le contexte du délitement des institutions carolingiennes et de la montée de la féodalité, Judicaël vicarius de Prigny s’émancipe de la tutelle du comte de Nantes et devient seigneur châtelain. Dans les années 1040-1070 le château de Prigny (castrum) apparaît dans les chartes. Il domine une villa (ici dans le sens d’agglomération) aussi appelée oppidum, le site est donc fortifié et ses murs doublés de larges fossés. Cette organisation est encore bien visible dans le paysage jusqu’au début des années 1970 mais l’arasement de la motte et le développement de constructions, se substituant parfois à un bâti plus ancien, comme celui du couvert végétal atténuent aujourd’hui la lisibilité du site. La chapelle Saint-Jean-Baptiste est aujourd’hui le seul témoin du XIe siècle à Prigny. De chapelle castrale elle accède au statut d’église paroissiale lorsque les bénédictins du prieuré voisin de Saint-Nicolas en deviennent les desservants à la fin du siècle. Une autre chapelle dédiée à Saint-Jean l’évangéliste existe à Prigny. Des deux prieurés extérieurs à l’enceinte subsistent quelques bâtiments de celui des bénédictins dans l’ancienne ferme de la Bouie (déformation de l’Abbaye) mais la chapelle Saint-Nicolas a été démolie en 1730, et rien ne reste de celui de Saint-Jacques qui s’élevait sur le coteau opposé surplombant l’ancien port. Seul autre témoin du passé, la vieille cure de Prigny construite en 1655 a survécu mais le souvenir de la Cour, symbole du pouvoir fiscal a disparu avec la ferme qui lui a succédé.

Prigny reste un des rares exemples d’incastellamento du Pays de Retz. La ville doit cette capacité à rassembler les hommes autour de la demeure du seigneur (dominus) à l’antiquité de son activité commerciale et à sa situation élevée près de l’embouchure d’une rivière à l’entrée du golfe de Machecoul. La modification de l’environnement géographique et le devenir hypothétique de ses seigneurs particuliers vont modifier la donne en faveur d’un autre site qu’elle contribue à faire naître.

Naissance d’un faubourg

Si Prigny, siège d’une châtellenie, est marqué par l’organisation du pouvoir militaire, le Bourg-des-moutiers tel qu’on l’appellera au XIIIe siècle, voit son histoire monumentale se développer dans le cadre religieux de la réforme grégorienne. Il serait pourtant erroné de supposer que le bien-être spirituel des fidèles justifie seul un tel développement. Des raisons économiques président aussi à ce qui semble la rencontre entre les besoins d’une population attachée à un culte qui la relie à ses morts et un site porteur de potentiel économique.

L’extrême confusion qui règne à la fin des temps carolingiens entre pouvoir civil et religieux est perçue par l’église comme une entrave à l’essor de la civilisation telle qu’elle la conçoit. Les chapelles sont la propriété de leurs desservants souvent membres des familles fondatrices. Les chapelains eux-mêmes sont souvent à la tête d’une nombreuse famille, c’est le cas du prêtre Even desservant de l’église Saint-Pierre des Moutiers. Pour remédier à cette situation, l’église fait appel aux ordres monastiques. Le mouvement de restitution des églises (le terme de donation serait plus adapté) qui se développe au XIe siècle (à Nantes sous l’épiscopat du moine Erard à partir de 1050) est d’une telle ampleur qu’il apparaît dans tout l’ouest comme présidant à la fondation des paroisses telles qu’elles perdurent jusqu’à l’époque contemporaine.

Ce phénomène est amplifié dans le cas des Moutiers par une double fondation qui va donner son nom au faubourg (suburbii) de Prigny : Une première restitution en faveur de l’abbaye bretonne de Saint-Sauveur de Redon par la création du prieuré-cure de Saint-Pierre puis la fondation du prieuré Sainte-Marie en faveur de l’abbaye angevine de la Charité du Ronceray suivie de sa restitution symbolique à l’église de Nantes. L’émergence simultanée sur le même site de deux prieurés dans une période troublée de l’histoire du comté nantais prend aussi un sens politique.

Aux origines de la paroisse :

La donation à l’abbaye bretonne de Saint-Sauveur de Redon

Bien que la charte du cartulaire de Saint-Sauveur de Redon qui relate la restitution de l’église Saint-Pierre soit datée des années 1092-1105, il semble qu’il faille remonter aux années qui suivent le milieu du siècle pour situer l’acte initial de la donation. Le contexte religieux et politique du comté de Nantes est conflictuel depuis la mort du comte Mathias (1051) la dynastie de Cornouaille est en passe de s’imposer avec le comte Hoël qui a pour frère l’évêque Quiriac (ou Guerech) successeur d’Airard, évêque réformateur mal accepté. Alors que Quiriac n’est encore que le détenteur « en provision » (providentia regente) de l’évêché de Nantes, il assiste en 1055 à la donation en faveur de l’abbaye Saint-Sauveur des chapelles Saint-Jean et Sainte-Marie situés près de la motte du seigneur Harscouët de Sainte-Croix (oppidum Sancte Crucis) lieu initial de peuplement de Machecoul. Il s’agit alors de restitutions de biens appartenant précédemment à leurs desservants, chapelles sans doute de création philibertine associées là-aussi à une importante nécropole mérovingienne. Elles seront à l’origine de la fondation de l’abbaye Notre-Dame de la Chaume. Le même Harscouët préside, sans doute peu après, à la donation de l’église Saint-Pierre, il est alors qualifié de « notre maire » (majore nostro). Il semble que le seigneur de Sainte-Croix inaugure alors sa domination sur le Pays de Rais (Radesii pagi) en prenant fait et cause pour la nouvelle dynastie nantaise qui accède bientôt (1066) au duché de Bretagne. Les donations à Saint-Sauveur confirment ce choix.

Le cas du prêtre Even est représentatif des dérives condamnées par la hiérarchie réformatrice : Marié ou concubin, père d’une nombreuse progéniture il se propose de lui transmettre ses biens, parmi lesquels églises et bénéfices, associant comme beaucoup de clercs contemporains les vices de Simonie et de Nicolaïsme. Il faudra encore un siècle pour éliminer ces pratiques, le fils d’Even devenu moine, condition nécessaire pour continuer de percevoir les bénéfices de sa cure, succède à son père.

L’acte établissant la prise de possession par l’abbaye Saint-Sauveur de Redon, bien qu’incomplet est extrêmement précieux par les renseignements qu’il fournit sur la disposition des lieux et les pouvoirs présidant à la donation : Even et ses fils, en même temps qu’ils se reconnaissent les sujets de Saint-Sauveur, donnent à l’abbaye l’église Saint-Pierre « leur propre maison qui était dans le cimetière et le jardin attenant à cette maison et en plus cent aires de salines avec leurs bossis. Ces aires s’étendent du cimetière à la mer. » La donation est complétée par celle de l’église Saint-Jean l’évangéliste de Prigny.

Primauté du cimetière

La mention du cimetière est importante en ce qu’elle rappelle l’existence de la nécropole et qu’elle donne une idée de son étendue puisqu’il est contigu aux salines, c'est-à-dire jusqu’en limite de l’ancienne rive sans doute très proche du lieu d’implantation de l’église Saint-Pierre. La maison du prêtre, et son jardin, sont dans l’enceinte du cimetière comme l’est le sanctuaire. Cette disposition n’est pas rare en haute-Bretagne comme dans les Pays de la Loire. Elle renforce l’hypothèse d’un regroupement humain et celle de la naissance d’une conscience communautaire autour du lieu d’inhumation dont l’origine peut être recherchée au moment de l’arrivée du christianisme. Si le cimetière originel englobe lieux de culte et d’habitat, celui-ci se substitue partiellement au champ des morts progressivement circonscrit à l’espace situé entre les deux églises. Cette configuration qui perdure jusqu’à la fin du XVIIIe siècle permet de conserver au cimetière du bourg une position centrale autour de laquelle s’organise l’habitat. La présence d’une lanterne des morts au centre du cimetière doit être examinée dans cette perspective mais le mystère qui entoure ces petits monuments rend hasardeux l’avancée d’hypothèses sur son origine et son utilité. On la tentera pourtant mais non sans remarquer au préalable que la lanterne du cimetière des Moutiers n’apparaît probablement pas sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui avant la fin du XIVe siècle, ce qui exclut un rôle privilégié dans l’origine du bourg.

L’église Saint-Pierre

La construction de l’église Saint-Pierre n’est pas antérieure à la domination normande qui voit l’abandon des lieux. Il n’est pas exclu qu’elle intervienne au moment de la restitution, le cas est très fréquent. Certaines caractéristiques architecturales, en particulier la présence d’étroites fenêtres haut placées révélée lors de la récente restauration comme celle de contreforts plaident en faveur d’une origine contemporaine du grand mouvement de reconstruction du XIe siècle. On peut imaginer ici que cette église a pu se substituer à un édifice plus modeste de bois, mais il semble qu’elle ait eu dés l’origine une ampleur comparable à celle que nous lui voyons, exception faite du clocher déplacé au XIXe siècle.

De passage à Prigny en 1063, l’évêque Quiriac rappelle la primauté de l’église paroissiale sur toute autre chapelle. C’est aussi le sens qu’il faut donner à la restitution toute symbolique de l’église Sainte-Marie fraîchement bâtie.

Aux origines du bourg :

La donation à l’abbaye angevine du Ronceray

En 1038, le monastère Sainte-Marie de la Charité d’Angers, fondé dix ans plus tôt par Foulques III Nerra obtient du comte Budic de Nantes (fils de Judicaël et père de Mathias) la concession dans cette ville d’une église dédiée à Saint-Cyr et Sainte-Julitte ruinée par les normands. Jointe à un cimetière antique, elle est située au nord-ouest de la première enceinte de Nantes sur la rive gauche de l’Erdre. La charte de concession porte la marque du viguier Judicaël.

Le prieuré Sainte-Marie des Moutiers nait dans les années 1050 par la volonté du même seigneur Judicaël de Prigny, et de son épouse Adénor. Aux ruines du petit oratoire fondé par les moines de Saint Philbert, vendues par Even, succède un sanctuaire que l’on appelle l’église de Madame la vierge (hypothèse plus crédible que celle de Madame la prieure retenue parfois). Quiriac conteste le caractère laïc de la possession quand bien même l’église nouvellement bâtie soit devenue celle du prieuré confié aux religieuses bénédictines du monastère de la Charité du Ronceray d’Angers où la fille des fondateurs s’est retirée. Restituée symboliquement au pouvoir diocésain, l’église Sainte-Marie continue d’être attachée au nouveau prieuré sous réserve d’une contribution annuelle.

De nombreuses pièces du cartulaire du Ronceray relatent les débuts du prieuré Sainte-Marie. La donation d’origine porte la marque de Judicaël et ses fils et celles d’Ascodii et Justini dans lesquelles on reconnait le seigneur de Sainte-Croix et son fils. Les actes suivants portent la mention de nombreuses libéralités envers le nouveau prieuré qui se voit doté par les seigneurs de Prigny de l’autorité (prévôté) sur l’ensemble des maisons du faubourg hormis celle du prêtre Even, mais aussi de terres, salines et vignes, et de droits importants comme celui de tenir un marché aux poissons et aux oiseaux de mer. Sauf quelques droits réservés au seigneur de Sainte-Croix, les religieuses du Ronceray bénéficient donc avant la fin du siècle de l’autorité sur un bourg qui semble constitué à leur avantage à partir d’un noyau de peuplement plus ancien. Ce choix ne dément pas l’implantation préférentielle des prieurés en Pays de Retz, non loin des côtes ou le long de l’estuaire de la Loire, choix lié à l’attraction de l’économie poissonnière. Cette entité nouvelle bénéficie d’une autre particularité économique favorable avec le développement des salines favorisé par l’évolution de la côte.

L’économie du sel et du poisson

La mention sur l’acte de donation de l’église Saint-Pierre d’aires saunantes dans l’environnement immédiat du cimetière permet de constater que l’avancée de la flèche dunaire du Collet amorce le colmatage à l’extrême nord du golfe de Machecoul. Les géographes Marcel Gautier et Jean Mounès estiment à quelques centaines de mètres la distance qui sépare l’ancienne rive de la flèche littorale qui s’ancre dans la falaise morte à la hauteur des arènes du Bien (aujourd’hui le Pré Vincent) au milieu du XIe siècle. Même si les premières salines apparaissent localement à la faveur d’une régression maritime à la fin de la période gallo-romaine, elles sont mentionnées ici pour la première fois dans la documentation, mais il n’est pas exclu, en raison de la présence des moines de Noirmoutier qui se sont fait une spécialité de la production du sel à partir de la fin du VIIe qu’il faille reculer cette date comme celle de l’amorce du cordon dunaire créant les conditions favorables à leur établissement. Le colmatage a pour effet l’abandon progressif du port de Prigny qui, joint à la disparition de ses seigneurs particuliers, entraîne le déclin du site dès la fin du XIe

siècle. L’extraordinaire développement de la production et du commerce du sel au Moyen-âge ne doit pas faire oublier l’autre constante originale de l’économie côtière qui lui est intimement liée par la nécessité de conservation : la pêche. L’économie poissonnière, par la part majoritaire qu’elle prend dans l’alimentation et par la distribution dans le réseau monastique, génère ici une activité importante. Le noyau ainsi constitué est au centre d’un système économique que vont générer cinq siècles de développement des salines que son territoire côtoie au sud et l’exploitation de l’estran développée au nord par l’utilisation généralisée des écluses à poisson.

Conclusion

Alors que la famille de Judicaël est encore présente à Prigny jusqu’à la fin du siècle, il n’en est fait aucune mention dans l’acte de donation de Saint-Pierre aux moines de Redon. Quel peut être le sens d’une telle absence ? Représentant du comte de Nantes, le viguier Judicaël l’ancien (Judiquelli Vetuli) porte le nom d’un comte de la dynastie éteinte avec Mathias, et montre lors de la création du prieuré Sainte-Marie en faveur d’un monastère du Ronceray un attachement aux alliances angevines de l’ancienne dynastie, ce qui peut apparaître comme étant en opposition avec les choix bretons du fondateur de la seigneurie de Rais.

Sans parler de guerre féodale opposant les seigneurs de Sainte-Croix et de Prigny sur fond de changement de dynastie dans le comté de Nantes, la situation est suffisamment confuse dans les années 1051-1063 pour qu’une concurrence ait pu s’instaurer entre les deux châtelains. Mais la famille de Judicaël (il meurt à la fin de cette période) est présente à Prigny jusqu’à la fin du siècle et les alliances soudées entre les deux familles sont plus sûrement à l’origine du passage de Prigny dans le giron des sires de Rais. De ce fait, il est alors possible que ce qui apparaît comme la création simultanée d’une paroisse, au sens moderne du terme, et d’un bourg, soit le signe d’un partage de domination qui prend la forme ici d’une séparation entre le pouvoir spirituel et le pouvoir économique, ce dernier se renforçant rapidement dans les années qui suivent par la constitution en faveur des religieuses d’Angers d’une véritable seigneurie jouissant d’une solide emprise foncière et de toutes les prérogatives de la banalité. Il est remarquable que ce partage de pouvoir voie son origine dans la volonté de deux communautés bénédictines. Elles compensent à l’évidence le manque de compétence des guerriers (miles) étrangers aux réalités économiques qui leur délèguent l’organisation de l’espace et l’encadrement des hommes.

Les moines de Redon ayant vocation à encadrer la paroisse naissante confirment leur volonté récente d’étendre leur zone d’influence au sud de la Loire en relayant plus généralement l’emprise bretonne sur les possessions d’Harscouët. Les religieuses du Ronceray, déjà à l’origine d’autres faubourgs (celui d’outre Maine à Angers et de relèvement Saint-Cyr à Nantes) passent du développement urbain à celui de l’économie poissonnière et saunière concrétisé aux siècles suivants par l’apparition des écluses à poisson et par l’extension des salines. Leur savoir-faire reconnu en matière de défrichements s’exprime ici par la conquête de nouveaux espaces de production dans les zones gagnées sur la mer et l’exploitation de l’estran. Une activité de nature spéculative est associée ici au nécessaire approvisionnement du réseau monastique déjà dense de l’abbaye angevine.

La mention au début du XIIe siècle des églises des Moutiers (ecclesias de Monasteriis) puis l’apparition dans une charte du cartulaire des sires de Rais de l’appellation Bourg-des-Moutiers (Burgo Monasterum) en 1225, officialisent l’existence d’un regroupement humain original.

À suivre 2e partie : Structure et patrimoine d’un bourg Sources et bibliographie

Une version abrégée de ce texte a été publiée dans le bulletin de la Société des Historiens du Pays de Retz 2015