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C’est à l’automne 2014, à l’occasion de travaux destinés à installer une médiathèque dans le château de Saffré (Loire-Atlantique), que sont révélées de curieuses inscriptions en écriture gothique. En décembre 2014, un article du journal Ouest-France relayé sur le blog de l’association Mémoires de Saffré mentionne cette découverte. Ni les textes, ni leurs auteurs ne sont identifiés et un premier examen les date au plus tard du début du XVIe siècle. En août 2015, les inscriptions sont restaurées par Brice Moulinier, conservateur restaurateur de peintures.  En août 2016, le spécialiste de l’histoire protestante bretonne, Jean-Yves Carluer, maître de conférences honoraire en histoire à l’Université de Brest, diffuse sur son site consacré aux protestants bretons un article dont le sujet porte sur le texte figurant sur les murs de Saffré, maintenant peut-être identifié : Il s’agirait de textes bibliques, il pense à des psaumes et proverbes « transcrits d’anciennes versions protestantes ». L’identification de l’origine protestante des inscriptions est rendue possible par leur datation précise : 1570 « les archives du château, le fameux Dial de Saffré, en conservent la trace en comptabilité » et la dame du château, Renée de Plouer, épouse du seigneur protestant de Saffré René d’Avaugour fait figure de commanditaire.

Inscriptions du château de Saffré

Source : Mémoires de Saffré

 

Pierre Moisdon, dans un article du dernier bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes (2017, tome 152) revient sur cette affaire et apporte quelques précisions. Confirmant l’identification de textes bibliques qu’il attribue au Livre des proverbes de Salomon et au Livre de l’Ecclésiaste, cette dernière attribution est inexacte, nous verrons qu’il s’agit de l’Ecclésiastique que la traduction œcuménique (TOB) appelle le Siracide, du nom supposé de son auteur, ce qui a le mérite d’éviter une confusion facile. La distinction n’est pas anodine puisque l’Ecclésiastique contrairement à l’Ecclésiaste figure au nombre des écrits apocryphes, ce qui n’a pas échappé au huguenot nantais contemporain de Renée, nous l’allons voir.

Le déchiffrage de certaines citations est très riche d’enseignements. Le premier mérite de l’article de Pierre Moisdon est d’identifier la source du texte, puis de préciser les liens entre son inscription sur les murs de Saffré et le fameux Dial. Il permet aussi d’éclairer la personnalité de Renée de Plouer que Jean-Yves Carluer qualifie « d’héroïne du quotidien » et qui figure en bonne place dans le dictionnaire des femmes de l’ancien régime.

La bible d’Olivétan

La comparaison des textes identifiés permet peu de doutes sur leur origine. Ils sont quasiment identiques à ceux figurant dans une des premières bibles traduite en français : la bible d’Olivétan du nom du traducteur, Pierre Robert Olivétan « humble et petit translateur ». Cette traduction qui ne prend pas pour source le texte latin (la Vulgate) mais les textes grecs et hébraïques est née de l’érudition de ce cousin de Jean Calvin mais aussi de la volonté des « barbes » vaudois parcourant les vallées du Piémont et du Dauphiné et du prédicateur Guillaume Farel, j’y reviendrai.

Le texte de l’édition de 1535 de la Bible d’Olivétan est écrit en gothique bâtarde, typographie vieillissante, qui semble très proche de la Textura quadrata employée sur les murs du manoir des Avaugour. En respectant aussi la forme, l’artiste qui œuvre à Saffré favorise les interprétations anachroniques. Les caractères gothiques ont l’inconvénient d’imposer une taille importante pour les livres qui en sont composés. L’inventaire de la bibliothèque de Samuel d’Avaugour[1], petit fils de Renée de Plouer, qui figure dans le Dial (avril 1625) indique fort sobrement « Une grande bible ».

Le Dial de Saffré

Les quatre registres du Dial de Saffré[2] sont rédigés de 1570 à 1630 par les notaires de la châtellenie : « Le manuscrit abonde en renseignements sur la bibliothèque du château, dont il donne le catalogue, les réceptions des châtelains, l’éducation de leurs enfants, les aménagements de la maison et ses richesses, la valeur des terres et de leurs produits, le prix des denrées, les foires du pays et son commerce, les évènements politiques de l’époque et enfin les nombreux indigents que secouraient les seigneurs de Saffré. »[3] Cette description est due au comte de l’Estourbeillon qui, le premier au XIXe siècle, s’intéressa à ce document rédigé pour les seigneurs d’Avaugour dont il n’aime pas rappeler les choix religieux, sinon pour les qualifier de « protestants fanatiques ».

«  Le dit jour [24 janvier 1570] Pierre Morin vint pour accoustrer les vitres et escrire des proverbes contre la muraille. » Telle est une des notes du Dial que rapporte l’article de Pierre Moisdon, elle donne le nom du peintre dont l’atelier de peintre-verrier est réputé à Nantes, et la date du début des travaux. Pierre Morin est le fils d’un diacre et l’un des fondateurs de l’église réformée de Nantes (1560).

Renée de Plouer

Au début de 1570, René d’Avaugour seigneur de Kargrois, châtelain de Saffré, est à la Rochelle, en campagne avec l’armée des princes en compagnie de La Noue Bras-de-fer. Il ne rentrera qu’à la fin de l’été pour repartir courir les routes de Bretagne au service de la Religion. Son épouse, demoiselle Renée de Plouer règne alors sur la maisonnée.

Renée de Plouer est la fille de Pierre de Plouer et Michelle de La Barre. Elle appartient à une branche des seigneurs de Plouer possessionnée en Bretagne et Poitou. Son frère cadet Charles, chevalier des ordres du roi, seigneur du Bois Rouaud en pays de Retz, est l’un des nobles du diocèse de Nantes chargés de la réformation des coutumes de Bretagne (1580). Il reste au sein de l’église catholique et est inhumé (1601) au couvent des Cordeliers de Nantes où Dubuisson-Aubenay a vu son épitaphe en vers et parchemin « pendu contre le ballustrage » de la chapelle des Rohan. Renée et Charles ont trois sœurs[4], Marguerite, épouse (vers 1553) de François de Montauban et mère du célèbre capitaine du Goust, qui s’empare du château de Blain en 1589 pour le compte du parti protestant lors des guerres de la ligue, Valentine de Plouer, dame de la Périnière, épouse de Gilles Lambert sieur de la Brunetière et de la Boucherie et Marquise de Plouer, dame de Frossay. Cette dernière est sans doute à l’origine de l’église huguenote que l’on voit se constituer en pays de Retz lors du synode de la Roche-Bernard (1564).

Le Dial évoque la sœur de Renée, Madame de Monterfil, il s’agit de Marguerite remariée vers 1574 à François de Monterfil[5] et sa belle sœur, Madame de la Bastardière, Marie de Botloy, dame du Plessis Mareil, femme de Charles de Plouer. Si la première est mère de huguenots notoires, la seconde est l’épouse d’un ardent catholique.

Renée de Plouer figure dans le dictionnaire des femmes de l’ancien régime. La notice qui lui est consacrée est due à Nicole Dufournaud qui a consacré sa thèse aux Rôles et pouvoirs des femmes au XVIe siecle dans la France de l'ouest.[6] S’appuyant sur l’étude d’Henri de Bérranger[7] qui fait suite aux travaux de L’Estourbeillon, et sur ses propres transcriptions du Dial, elle dresse le portrait d’une femme qui a toute autorité pour diriger les affaires du domaine, en gérer les finances, surveiller l’éducation des enfants et toute l’économie domestique. Un gouvernement qui ne souffre pas la contestation, notamment en l’absence de son mari.

Un document de la même époque et produit dans le même milieu, précise les conditions de l’exercice de cette autorité. Il est du à Bonaventure de la Muce seigneur huguenot de Chantenay et du Ponthus (Petit-Mars) qui précise les rôles réciproques des conjoints dans le testament moral qu’il destine à ses enfants vers 1588 :

                « La maison se doibt gouverner par le mari et la feme ensemblement. Au mari, appartient le soin des affaires de dehors comme conduite de proceix, déffanse de toutes entreprinses contre les droitz de la maison et y faire revenir le revenu. A la feme apartient le gouvernement domestique conduite de la dépanse et mesnaige, cognoissance de métairies bestial réparations améliorations et des oupvriers et doivent souvent conforter de leurs scavoirs mesmes des fermes que la feme ne fait que avecq authorité du mari, et luy ne  prandre son avis, sus tout qu’il conferent souvant de la piété et éternelle. »[8]

Le rôle de la femme, tel qu’il apparaît aux commentateurs du document – on peut penser qu’une analyse plus poussée du Dial sous ce rapport, arriverait à la même conclusion – est celui d’une « adjointe puissante, consultée et maîtresse de tout le domestique. » observation qui leur permet de conclure que « l’épouse n’est pas ici l’absente de l’histoire […] mais bien une partenaire essentielle, responsable […] très proche de ce qu’a du être la réalité du temps. »[9]

Renée de Rieux (1524-1567)

Contemporaine de Renée de Plouer,

une autre protestante au parcours étonnamment moderne

Dessin attribué à l’école de Clouet

Source : Les protestants bretons

 

Les inscriptions de Saffré

 

Le texte de Bonaventure de la Muce est surtout l’expression d’un équilibre à trouver dans l’autorité sur la maison, revendication que Renée de Plouer semble faire sienne au travers des « proverbes de Salomon » qu’elle fait transcrire sur les murs de la cuisine de Saffré. Hasard de la conservation ou choix délibéré de l’initiatrice, les textes conservés, identifiés dans l’article de Pierre Moisdon, n’en sont pas moins en partie représentatifs d’une pensée féminine ou d’une volonté de mettre en avant l’équilibre nécessaire à trouver « entre le mari et la femme » telle que l’exprime le testament moral de La Muce.

Cette idée est tout à fait présente dans cet extrait tiré des Proverbes :

 

« Mon fils garde le commandement de ton

père ne délaisse point l’admonition de ta

mère ains les lie continuellement sur ton cœur »  

Proverbes (ch.6, v.20-21)

 

Le verset de l’Ecclésiastique :

 

« As-tu des filles : gardes leurs corps

ne leur montre pas ta face joyeuse »                                  

Ecclésiastique (ch.7, v.24)

 

témoigne plutôt d’une sévérité que ne dément pas l’autre volet  fort virile de la citation : As-tu des fils : endoctrine les : et les ploye dès leur jeunesse.

Il serait intéressant de savoir si seule la référence aux filles a été conservée par cette mère.

 

Le troisième texte est extrait du dernier chapitre des Proverbes qui est un long poème à La femme de caractère, j’emploie ici à dessein le titre que lui donne la TOB, de préférence à celui de la bible de Jérusalem (La parfaite maîtresse de maison) infiniment réducteur dans sa consonance contemporaine :

 

« Elle ouvre sa bouche par sapience la loy de benignite est sur sa langue

elle contemple le train de sa maison : ne mange point le pain en oisiveté »

Proverbes (ch.31, v.26-27)

 

De la Sapience

 

L’exhortation à surveiller les filles et à leur faire visage sévère est extraite du livre de l’Ecclésiastique aussi appelé Le Siracide ou La Sapience de Jesus, fils de Sirach. Les deux autres figurent au Livre des proverbes ou de la sapience, dit de Salomon. Le premier de ces livres figure pour les protestants parmi les écrits dits apocryphes, c'est-à-dire de moindre valeur canonique. La bible d’Olivétan regroupe ces écrits sous ce terme à la fin du « vieil testament » leur reconnaissant ainsi une utilité que Bonaventure de La Muce, dans l’exorde de son discours, associe à la notion de sapience :

« Sapiance est un don de Dieu spécial et précieux, quel il donne libéralement à ceux qui la demande, ce que nous est enseigné par toute l’Escriture, spécialement […] au Proverbes et Ecclesiaste de Salomon et amplement au livres de Sapiance [Livre de la Sagesse] et ecclésiastique, quoyqu’il soient apocrifes, sans certain autheur, non contenuz au canon des Hébreux. »[10]

L’intérêt des protestants du XVIe siècle pour les livres sapientaux et leur enseignement moral s’exprime dans le texte de Bonaventure de la Muce comme dans les choix ostentatoires de Renée de Plouer. D’autres exemples existent, comme celui de Bernard Palissy qui, en 1563 dans sa Recepte véritable, orne les cabinets de son jardin imaginaire de maximes extraites des livres de sagesse.

 

La vigoureuse poussée spirituelle, observée dans les années 1560 dans le comté nantais, n’apparaît pas étouffée par la guerre civile[11]. À la cour des Rohan à Blain, fréquentée par les Avaugour, où se croisent, et cohabitent les huguenots réfugiés en ces années de troubles, une intense activité spirituelle[12] se maintient.

 

Aux châteaux de Saffré et de Vay, peu avant que la paix de Saint-Germain (8 aout 1570) n’amène quelque répit, Renée de Plouer exprime à sa façon une sensibilité religieuse toute imprégnée d’une morale faite de sagesse et de raison, mais non exempte d’une vision de femme.

                                                                                            PatBdM


[1] R. de L’Estourbeillon, Le cabinet de travail d’un seigneur breton en 1625, Samuel d’Avaugour seigneur de Saffré. Bulletin de la Société archéologique de Nantes et du département de Loire-Inférieure, 1881.

[2] Archives départementales de Loire-Atlantique, titres féodaux : 1 E 667 à 670. Ce document est aujourd’hui microfilmé à la cote 2 Mi 805 à 2 Mi 808.

[3] R. de L’Estourbeillon, propos et lecture d’un mémoire sur  La vie de château au XVIe siècle, d’après un journal de la châtellenie de Saffré. Bulletin historique et philosophique du comité des travaux historiques et scientifiques, année 1885 – N° 2. Congrès des Sociétés savantes de Paris et des départements à la Sorbonne Séance du 8 avril 1885. pp 102-103.

[4] Archives départementale de Loire Atlantique E 1131

[5] Voir le fonds Maupéou à la Nouvelle maison de l’Histoire (NMH) La Bernerie : dossier 51

Il s’agit peut-être de l’ancien gouverneur de Vannes ?

[6] École des hautes études en sciences sociales, 2007.

[7] Berranger, Henri de, «Gentilshommes protestants au XVIe siècle. Les d'Avaugour, seigneurs de Saffré», Mémoire de la société d'histoire de Bretagne, 1959, tome 39, p.41-53.

[8] Jean-Luc Tulot, Roger Nougaret, Alain Croix, « Noble, Huguenot et Père de famille : le testament moral de Bonaventure de la Muce (vers 1588) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1993, pp. 27-48.

[9] Jean-Luc Tulot, Roger Nougaret, Alain Croix, « Noble, Huguenot et Père de famille… op. cité.

[10] Jean-Luc Tulot, Roger Nougaret, Alain Croix, « Noble, Huguenot et Père de famille… op. cité.

[11] Roger JOXE, Les protestants du comté de Nantes, éd. Jeanne Laffitte Marseille 1982, p. 153

[12] Roger JOXE, Les protestants … p. 165