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   Les dentistes et le théâtre

 

               Avec Gaspard Montiventi apparaît un second dentiste dans l’environnement familial de Pierre Bellotti. Les Montiventi sont assez bien documentés . Gaspard Montiventi est originaire de Florence. En 1752, il est opérateur à Plaisance et une fille naît à Martigues de sa première épouse. Veuf, il se remarie en 1760 à Grenoble avec Gertrude Badin, fille d’un maître tapissier de Cadix. Il en aura deux filles, Elisabeth, née à Nantes en 1768, Pierre Bellotti est son parrain, et Antoinette née en 1787 à Duerme près de Lyon. La première s’établira à Périgueux, la seconde à Angoulême et épousera en 1812 le maître de dessin François Abraham Joliet, fils d’un sculpteur de l’Académie royale. Gaspard Montiventi dentiste, apparaît le 8 germinal an 3 à Toulon sur la liste des émigrés, il est mort avant 1812.

               Une recherche parmi les dentistes exerçant à Nantes au XVIIIe siècle va permettre d’établir quelques liens entre familles italiennes d’opérateurs : Le 4 février 1784, le sieur Félix Tardini qui se dit comte palatin, chevalier de l’Eperon d’or (un ordre de chevalerie papal souvent attribué à des artistes – c’est le cas de Vasari, du Titien, de Mozart …) et de Saint-Jean de Jérusalem dépose au greffe de la ville de Nantes l’avis du sieur Mercantini, chirurgien dentiste :

               « Il nettoie les dents, distribue toutes sortes d’opiates à la maréchale et ordinaires ; possède une eau pour manger les taches qui se trouvent sur la cornée transparente […] pour le mal d’oreilles bruit et tintement […] sa présence est à Nantes, au bas de la place Saint-Nicolas, dans l’allée du charcutier. » Félix Tardini est bien apte à apprécier les talents d’un si précieux praticien puisqu’il exerce lui-même la profession d’oculiste pour la plus grande satisfaction laisse t-il penser de Monsieur, frère du roi. La visite du comte d’Artois à Nantes en 1775 est sans doute à l’origine de son titre d’oculiste de Monsieur.

               Montiventi et Mercantini ne sont pas les premiers opérateurs exerçant à Nantes. A la fin du siècle précédent, et dans le même quartier, c’est Daniel Henrichs de Bruxelles qui demande qu’on lui permette de traiter « les affligés de la veue et de la surdité d’oreille […] et pour cet effet luy permettre d’élever un théastre à la porte Saint-Nicolas. » Car les professions de dentiste et d’oculiste ne s’exercent pas en cabinet mais bien dans les foires et sur les marchés comme le montre le litige qui oppose Félix Tardini à un de ses concurrents trente ans avant qu’il soit signalé à Nantes. En 1749, à Montereau, petite ville de la Brie, Félix Tardini demande qu’il soit fait défense au sieur Gregorio Toscano « de jouer en public, de débiter ses médicaments et d’opérer sur le corps humain s’il ne justifie d’un brevet de premier médecin ou chirurgien du roi. » Toscano se réfugie au marché au blé de Melun afin d’y vendre « l’antidote spécifique ou contre poison dont il a le secret. »
        
              René Toscane, gendre de Pierre Bellotti est le dernier rejeton de cette famille Toscano, une des plus célèbres dynasties d’arracheurs de dents et vendeurs d’orviétan.

              Le fameux antidote ou contre poison dont les Toscano ont l’exclusivité n’est autre que ce fameux orviétan ramené au XVIIe siècle par la famille Contugi originaire d’Orvieto. L’opium entre pour une part dans sa composition.

 

                               Marchand d'Orvietan-3

                                            Le marchand d’Orviétan de Campagne

 

             Joseph Toscano, surnommé « Chapeau d’or », opérateur sur le Pont-Neuf, obtient en 1685 des lettres patentes pour vendre l’orviétan « sur un théâtre dressé dans les places publiques où, par des divertissements honnêtes, il attiroit le peuple et se procuroit par ces amusements un débit plus favorable. » Son fils Gregorio est d’abord danseur à la Comédie Italienne puis acteur. En 1727, il obtient le privilège de vente de l’orviétan et l’autorisation d’ouvrir un théâtre avant de devenir le plus riche et le plus célèbre opérateur du royaume. Algaron Toscano, son fils obtient le même privilège en .1771. Charles Toscano, frère ou cousin du précédent vit à Gaillac en Albigeois, il est autorisé à vendre de l’orviétan en 1758. C’est le père de René, dentiste à Castelnaudary.

             Arracheurs de dents et vendeurs d’orviétan, au-delà de leur réputation de charlatanisme, sont inséparables d’un théâtre populaire de foire dont l’origine se confond avec celle de la Commedia dell’arte.

  Charlatan_Miger-2.jpg 

 

L’argent fait à chacun jouer ici son rôle
Pendant que sur son char cet hardi charlatan
Enlève avec un sabre, une dent à ce drôle,
Sa belle, à ses côtés, vend son orviétan.
Un nouveau débarqué qu’un grenadier engage
Par l’appas des écus perdant sa liberté
Du métier des héros va faire apprentissage
Avec sa Colombine  Arlequin en gaieté,
Faisant sur leurs tréteaux mille bouffonneries
Excitent des passants leur curiosité
Pour se faire payer leurs plates comédies


       Le Charlatan estampe de S.C. Miger d’après un dessin de Touzet (XVIIIe) source BNF Gallica

 

               Pierre Belotti n’a rien d’un arracheur de dents mais appartient depuis son départ de Venise à cette partie de la colonie italienne qui hante les foires et les marchés. Un monde de bateleurs qui use de la scène pour débiter rêves et remèdes. Il n’a ni le talent de son oncle Canaletto, ni même celui de son frère Bernardo. Pour lui pas de Joseph Smith ni les protections princières de Bellotto. Il ne peut compter que sur lui-même pour faire la promotion des peintures inspirées de l’œuvre de ses aînés. A Nantes ou à la Foire Saint-Germain, il vend ses oeuvres où passe un peu du génie du maître de la veduta. Au tournant du siècle, c’est aussi sur un marché, celui de la place Navone à Rome que François Cacault constitue l’amorce de sa collection italienne, un des plus beaux atouts du musée de Nantes.

 

San Rocco-détail-2

        Canaletto : Vers 1735 Exposition et vente de tableaux à la Scuela di S. Rocco     

 

                                                                                                                                                  (à suivre)