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Sur deux amis morts

Ils s’en sont allés, à l’entame de l’hiver. Ont quitté notre village qu’ils aimaient pour gagner l’un le lieu des ultimes explications, l’autre le paradis des poètes. La plume tombée de leur main, c’est plus qu’il n’en fallait pour comprendre qu’il leur fallait prendre la route pour un ailleurs moins amer, un futur finalement moins incertain.

Sur quoi travailles-tu ? Me disait l’historien, avant toute considération sur le monde comme il va et nos contemporains qui s’y agitent. «Écris tant qu’il en est temps » semblait-il me dire et repousses par l’écriture les limites de ta pauvre imagination. « Tant pis si on ne te lit pas » - il fut souvent mon seul lecteur - « le chemin est plus important que le but ».

Le poète n’est pas un écrivain comme les autres, dédaigne les leçons de l’histoire car il sait de long temps que l’homme ne les retient pas. J’insistais pourtant : « mais l’histoire ! » et il souriait malicieusement car il l’avait côtoyée dans les geôles de Lourenço-Marques et les chausse-trappes d’un palais cubain, mais non décidément, pas assez bonne fille pour la fréquenter ! Mais qu’importe ! - Je sais aujourd’hui que la piété filiale peut faire un hétéronyme d’un personnage historique.

Mais ils écrivaient ! Si dissemblables, pétris de leurs histoires si différentes, cherchant une vérité parmi les errances de leur siècle, aux antipodes des idéaux, ils écrivaient à la lumière crue du manque de liberté.

J’ai refoulé mes larmes en voyant la lanterne s’allumer, ma peine fut grande qu’elle ne brille pas pour le poète. Il m’aurait dit que j’accordais trop de places aux symboles, mais on ne se refait pas. Il savait bien que j’accordais aussi plus de crédit aux historiens qu’aux poètes.

Mais le poète est bien attrapé de devoir partager une partie de son éternité à débattre avec l’historien des mérites comparés de Cadou et de Xavier Grall.

Rien n'est aussi poussière

Que les rives où tu bâtis tes rêves

Rien n'est aussi fragile

Irréel que les rives désertées par la lumière des fleuves

Tard le soir

Le crépuscule esquive en miroir

Sa beauté

Il cherche son envers

La boue

La fange

Le regard des autres

Demeure in- connaissable

Virgilio de Lemos, Les rives désertées 1991 (inédit)