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               Un îlot moderne dans un océan d'ancien régime

 

               En octobre 1903, Aristide Briand tient meeting à Vallet. Le Pays de Retz, journal républicain imprimé à Chauvé, cite des extraits de son discours : " Républicains, serrez les rangs : A l'approche des élections, on va vous travailler, nos adversaires se diront plus républicains que nous, vous ne trouverez pas un réactionnaire devant vous, mais des masques ; arrachez – les ! Et puisque Vallet (1) est comme un îlot républicain dans cette Loire Inférieure que cherchent à conquérir les hommes du passé, tenez à l'honneur de rester unis pour le triomphe de l'idée républicaine ! …".


            Une décennie plus tard, le géographe André Siegfried publie son célèbre Tableau politique de la France de l'Ouest sous la Troisième République dans lequel le chapitre consacré à la ville de Nantes est conclu par ces mots depuis maintes fois repris (2) : " Et il s'ensuit que Nantes, qui économiquement est une grande capitale régionale, n'est politiquement pas beaucoup plus qu'un îlot moderne dans un océan d'ancien régime."

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            La réédition récente de l'ouvrage de Siegfried aux éditions de l'université de Bruxelles m'a permis d'ajouter ce classique à la liste de mes lectures d'été. Dans une première partie (plus de 450 pages), le fondateur de la géographie électorale établit le portrait détaillé des régions de l'Ouest telles qu'elles sont définies dans le Tableau de la géographie de la France de Vidal de la Blache paru dix ans plus tôt. Cette analyse est basée, outre la géographie physique et économique, sur le comportement électoral de chacune des entités retenues (avec comme référence les élections législatives dont les résultats sont examinés au niveau des cantons, quelquefois des communes). Dans une seconde partie (environ 330 pages) il dresse le portrait d'ensemble de l'Ouest politique de 1871 à 1910 en s'appuyant tour à tour sur les facteurs déterminants (régime de la propriété foncière, mode de peuplement, influence du clergé, influence de l'Etat), les différentes classes sociales (noblesse, bourgeoisie, classes populaires), les partis politiques enfin (Droite royaliste et   catholique, parti républicain, partis plébiscitaires).

              Dans la première partie, l'étude consacrée à la Loire-Inférieure et Nantes Transition entre l'Anjou, la Vendée et la Bretagne, appartient à l'étude de la Bretagne continentale (elle comporte aussi l'Ile-et-Vilaine) qui, avec le pays Gallo (Vannes, Dinan, Loudéac) et la Bretagne bretonnante forment les 3 ensembles de la région. Pour comprendre le propos de Siegfried concernant Nantes, il convient de le citer plus longuement :

 

             "Nantes tient d'abord, et par-dessus tout, à la vallée de la Loire, qui est sa raison d'être. Par la Loire, elle est en contact avec l'Anjou, la Touraine, le Centre, c'est-à-dire avec la France elle-même. Par la Loire encore elle regarde vers l'océan. Au sud, elle touche de près à la Vendée, dont on peut dire qu'elle est la vraie capitale. C'est là qu'est sa vraie zone d'influence. Mais l'Anjou, qui gravite autour d'Angers, lui échappe au nord-est ; et ils sont bien minces les liens qui la rattachent à la Bretagne terrienne, attirée plutôt vers Rennes, ou à la Bretagne bretonnante, qui vraiment n'a pas de centre. Il en résulte finalement que Nantes n'est pas une capitale bretonne, qu'elle n'appartient en rien – et de son propre aveu – à la Bretagne."

              Une opinion donc bien tranchée sur l'identité nantaise reprenant celle de Vidal de la Blache, nous dirons opinion basée sur une vision essentiellement géographique, peu contestable dans son ensemble et sous ce seul critère, sauf peut-être cette notion de capitale vendéenne, j'y reviendrais. Siegfried poursuit :

 

             "Ville de la Loire essentiellement, capitale économique d'un vaste territoire, Nantes n'exerce donc politiquement qu'un faible rayonnement. Ce rayonnement en effet s'arrête presque à sa banlieue. Il englobe au sud Bouaye, un peu le Pellerin ; à l'est Carquefou (canton de maraîchers) et un peu mais très peu, la Chapelle-sur-Erdre ; à l'ouest, Saint-Etienne : en somme la banlieue industrielle et maraîchère de la ville. Mais ensuite c'est tout : Saint-Philbert-de-Grandlieu, Ligné, Nort, Blain sont des milieux ruraux, d'atmosphère toute différente, Si l'influence politique du chef-lieu s'y fait sentir, c'est beaucoup plus par l'intermédiaire des nobles royalistes que des républicains. Ainsi cette ville républicaine et même très républicaine ne répand d'influence politique en dehors que par ses éléments conservateurs. C'est le cas de beaucoup de cités commerciales ou industrielles, entourées d'un pays surtout rural, et dont les éléments ouvriers ou bourgeois sont sans contact avec la campagne. Et il s'ensuit que Nantes, qui économiquement est une grande capitale régionale, n'est politiquement pas beaucoup plus qu'un îlot moderne dans un océan d'ancien régime."
 
            Le propos de Siegfried n'est pas tant, me semble t-il, de poser une évidence géographique : un centre urbain au milieu d'un espace rural qui ne vote pas dans le même sens, que de constater que Nantes est une capitale économique dont la seule originalité politique réside dans son propre vote républicain et l'impossibilité de l'exporter dans sa zone d'influence économique. Ce constat d'impuissance est à peu près commun à tous les centres urbains d'importance. Utiliser le propos de Siegfried pour décrire un département plongé dans l'obscurantisme à la veille de la guerre de 14 m'a toujours paru exagéré et ne pas correspondre à la réalité côtoyée par les historiens locaux. Le géographe, qui se défend pourtant par ailleurs d'engagement partisan, ne cache pas ses préférences républicaines dans le propos. Le modernisme n'est pas économiquement l'apanage de la ville, et dans les comportements politiques du monde rural, l'attachement incontestable de certains à des schémas sociaux proches de ceux de l'ancien régime s'accompagnent aussi d'un attachement tout aussi incontestable au suffrage universel (masculin, tout de même, rappelons-le et tous les partis s'en satisfont). Une analyse plus précise montrerait sans doute que les carences du personnel républicain nantais (des élites timorées et plus nantaises que républicaines) sont à mettre parmi les causes de cette impuissance face à  des personnalités brillantes et d'esprit moderne que l'historiographie républicaine qualifie volontiers de hobereaux obscurantistes. Elle ne viendrait pas à l'encontre des plus brillants apports des recherches d'André Siegfried pour qui les vieux pays de granit et de schiste, à l'habitat dispersé sur de grands domaines où vivent les Messieurs au milieu de leurs gars respectueux avant tout des sermons de leurs curés, votent toujours à Droite !

                

               Reportons-nous un siècle en arrière, par une belle soirée d'août 1910, le conseiller d'Etat et ancien préfet de Loire-Inférieure Louis Herbette qui connaît bien cette classe politique nantaise si frileuse quand il est question d'engagement politique, reçoit ses amis chez lui à Pornic. Il y a là Monsieur le maire le minotier Laraison et des dames revêtues de l'ancien costume pornicais. Dans une bonne et franche causerie dit un journal républicain nantais (3) , M. Herbette évoque le Pornic d'autrefois qui soutint jadis l'assaut des hordes vendéennes, Pornic, ce coin perdu républicain au milieu des communes royalistes qui l'entourent.

 

                                                                                                                                             PatBdm


(1) En réalité, les préférences électorales du vignoble nantais sont majoritairement bonapartistes et plébiscitaires.

(2) Alain Gallicé, en rendant compte du très utile ouvrage de François Naud : Les parlementaires de Loire-Inférieure sous la Troisième République (Ed. Régionales de l'Ouest, Mayenne) dans le tout récent bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes, évoque encore la phrase dans sa conclusion et la nécessité de la nuancer qu'impose l'analyse historique.

(3) Le Populaire du 19 août 1910

 

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