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            Depuis que Volker Dehs[1] a conté par le détail les péripéties auxquelles a donné lieu en 1876 l’adaptation théâtrale du roman de Jules Verne Le Tour du monde en quatre-vingt jours, le nom d’Edouard Cadol est connu par la polémique qui l’a opposé au célèbre nantais à propos de la paternité de la pièce.

 

            Edouard Cadol, son visage « jamais très gai » nous est connu par une gravure de Lilio dans l’ébauche d’encyclopédie Nos Ecrivains que publie Saint-Patrice en 1887. Auteur dramatique, journaliste et romancier, il évolue comme son collègue Perret dans l’univers Vernien, mais est attaché comme le romancier de Paimbœuf à une littérature trop bien écrite et à des conventions dramatiques un peu figées au temps des « grosses affaires » théâtrales que sont les adaptations verniennes. Saint-Patrice donne cette notice en 1887 :

 

 Edouard-CADOL-2.jpg

            « Parisien et fils de Parisien, Edouard Cadol est né le 11 février 1831. A dix-neuf ans il entra comme employé au chemin de fer du Nord. Deux ans plus tard il quitta cette administration pour suivre son goût pour la littérature. Il débuta par un vaudeville au théâtre Bobino en 1852 et collabora à divers journaux : au Temps ; à l’Esprit public, au Monde illustré, à l’Estafette, au Nord, à l’Esprit français dont il fut le fondateur. George Sand eut une influence décisive sur l’avenir du jeune romancier. En 1872, il passa plusieurs mois chez elle à Nohant, et il en revint chargé d’une comédie, la Germaine, qui fut jouée l’année suivante au Vaudeville. Il donna ensuite le Maître de la maison, comédie en cinq actes, en collaboration avec Foussier ; l’Affaire est arrangée, un acte en collaboration avec Busnach, et puis les Inutiles qui eurent un grand succès au théâtre de Cluny.

 

            Les autres pièces de M. Edouard Cadol sont : La Fausse Monnaie ; La Belle Affaire ; Le Mystère ; Jacques Cernol ; Memnon, opéra-comique en un acte avec musique de H. Bocage ; Le Créancier de bonheur ; Le Spectre de Patrick ; L’Enquête ; Fils de lui-même ; La Famille ; La Grand’maman.  Comme romans il a publié : Les Comtes gais ; Les Belles Imbéciles: Le Siège de Péronne ; Le Monde galant ; Madame Elise ; Rose ; La Bête noire ; La Vie en l’air ; Mademoiselle. »

 

                                                                                                                             Saint-Patrice

                                                                                                                             Nos écrivains (1887)

                                                                                                                                                                                                                               Paris,matin du 9 juin 1876, par une pluie fine et froide, Edouard Cadol retrouve Alexandre Dumas, Paul Meurice, Calmann Lévy et Henry Harisse[2] à la gare d’Orléans. Ils prennent place dans le même compartiment du train de Châteauroux et arrivent le soir à Nohant pour saluer la dépouille de George Sand morte la veille. Cadol est un protégé de George chez qui il séjourne parfois. Les conseils de la dame de Nohant et les beaux yeux de « Marie des poules »[3] l’y retiennent. Marie Caillaud, « une grande Berrichonne que j'ai élevée, qui est la gouvernante de mon intérieur» écrit George Sand. Elle s’essaye avec succès à la comédie et touche le cœur du dramaturge.

 

            Edouard Cadol se targue de quelques succès. Les Inutiles (1868) atteint les 200 représentations au théâtre de Cluny. Les critiques sont si bonnes, du Moniteur Universel de Théophile Gautier au Journal d’Amiens, que le directeur de la salle prend l’initiative d’en publier le florilège[4]. La Belle affaire (1870), après avoir été jouée au Château d’Eau (devenu plus tard l’Alhambra), va faire les beaux jours de l’Odéon pour 60 représentations comme le raconte le texte suivant.

 

            Courant après ces premiers succès, et après les péripéties du Tour du monde en quatre-vingt jours, Edouard Cadol choisit d’accepter un rôle de lecteur à la Comédie Française. Il a pour collègue Paul Perret, alors célèbre critique dramatique du journal La Liberté. Le rôle de lecteur et la personnalité des deux hommes de lettre sont évoqués dans ce texte publié peu après la mort de Cadol en 1898 :

 

            « Edouard Cadol occupa lui aussi le poste de lecteur de la Comédie-Française. Il apportait dans l'exercice de ses fonctions autant de conscience qu'Henri Lavoix, mais moins de bonne humeur.

 

            Au fond,  Cadol ne pouvait se consoler d’avoir abandonné la carrière d'auteur dramatique : avec quelle mélancolie il évoquait le souvenir de ces aimables Inutiles que nous applaudîmes naguère au théâtre Cluny sous la direction de Larochelle et qui valurent un si beau succès à une de nos meilleures comédiennes,  Mlle Fayolle, alors débutante, aujourd'hui duègne en chef du Théàtre-Français !

 

            Edouard Cadol était l'auteur de beaucoup de comédies qui n'avaient qu'un défaut, celui d'être trop bien faites, suivant une formule un tantinet conventionnelle : sa montre d'auteur dramatique n'était plus a l'heure, et lorsqu'on prononçait devant lui les mots de « théâtre libre» et de «tranche de vie», son visage, qui n'était jamais très gai, s'assombrissait davantage encore : Cadol n'admettait nullement la nécessité périodique d'une évolution théâtrale; bref, il en était encore à l'époque de la Belle Affaire, à l'Odéon.

 

            Cette Belle Affaire, qui tint l’affiche de notre second Théâtre-Français durant deux mois avait son histoire. Elle avait vu le jour au Château-d'Eau où le mélodrame trouvait son dernier refuge; du Château-d 'Eau elle avait émigré à l'Odéon; sur le judicieux conseil du directeur de la scène qui était M. Porel, les cinq actes avaient été réduits à trois et cette amputation avait excellemment réussi; aussi Cadol, encouragé par le succès des soixante représentations odéoniennes, n'avait-il plus qu'un rêve : voir la Belle Affaire retourner sur l'autre rive et entrer au répertoire de la Comédie-Française. Son rêve aurait-il été réalisé ? Je l'ignore! Ce qui est certain, c'est que le jour où il apprit qu'un des postes de lecteur était vacant, il remaniait une fois encore ses trois actes et soupira, plein de résignation :
            Lecteur, c'est bien tentant, mais ne plus être auteur, c'est bien triste !...
Pauvre Belle Affaire ! Elle n'aura pas eu de chance ! Elle n’ira pas à la Comédie !

 

            C'était Paul Perret, le compagnon de lecture de Cadol, qui colportait ce mot, protestant ainsi contre les lecteurs dramaturges et partant de ce principe, vraiment trop farouche, qu'un lecteur ne peut être auteur dramatique à quoi Cadol répondait, s'adressant à son collègue, feuilletoniste de la Liberté, qu'à ce compte-là un critique de théâtre se trouve dans l'impossibilité de juger les œuvres sur lesquelles, il a rédigé un rapport.
            La vérité, c'est qu'ici comme partout ailleurs, il y a la manière… Le fait d'être lecteur n'empêcha jamais Paul Perret d'exercer avec autant d'indépendance que de talent les sacerdotales fonctions de critique, et Cadol aurait parfaitement pu nous procurer le plaisir d'applaudir sur une scène de genre une comédie de la valeur des Inutiles ou même de la Belle Affaire… »


                                                                                                                                         Adrien Bernheim.

                                                                                                                        Extrait de Lecteurs et Comités de lecture[5]

                                                                                                                                                       Le Figaro du 8 mai 1911

 


[1] Bulletin de la Société Jules Verne 1996

[2] C’est lui qui raconte Le décès de George Sand, dans Correspondance T XXIV Ed. Garnier

[3] Solange DALOT Marie des poules, Marie Caillaud chez Geoge Sand, éd. Sutton 2007

[4] Les Inutiles devant la critique, Paris 1869

Henri Larochelle, directeur du Théâtre de Cluny et ami de Cadol, fut à l’origine de la polémique avec Verne avec qui il l’avait mis en contact. 

[5] Article repris dans son ouvrage Autour de la Comédie Française  (5e série de Trente ans de Théâtre) p 198 Paris 1913. Dans la 1ère série (1903) il consacre un long chapitre à la Comédie Française dont les lecteurs sont alors Paul Perret (+1904) et Edouard Noël, successeur de Cadol.

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