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22 février 1582

 

Arrest pour Jehan Morin et Philippe Chevalier, et les marchans fréquentans la rivière de Loire, & aultres fleuves descendants en icelle, par lequel a esté condamné Bertrand Rousseau, fermier des debvoirs des Estatz pour les Eveschez de Nantes et Vannes à rendre et restituer ce qu'il a pris sur le vin, descendu par ladicte rivière iusques au Pelerin

 

Nous avons déjà rencontré Jehan Morin, sieur du Bois des Tréhans aux Moutiers, premier président de la Chambre des comptes de Bretagne, ancien maire de Nantes et accessoirement historien. Nous n'avons rien dit de ses activités commerciales.

 

En décembre1580, il est associé avec Philippe Chevalier, marchand de la ville de Blois, avec lequel il fait acheminer par "la rivière de Loire" plusieurs bateaux, probablement des gabarres, chargées de plusieurs pipes de vin. Le vin est destiné à la Flandre, il convient donc, passé la ville de Nantes, de transborder ce vin dans des navires pouvant prendre la mer et rejoindre le nord de l'Europe. La Loire n'étant pas praticable jusqu'à Nantes pour les nefs flamandes, Morin et Chevalier, "ayans amassé quelques quantités de vins de court et icelluy faict charger sur la rivière de Loyre, pour les faire transporter en Flandres contrains au Pelerin de les faire décharger des bateaux et les mettre en navires pour freter en Flandres".

 

Dans le petit port du Péllerin s'est établi depuis peu Bertrand Rousseau, "fermier des debvoirs des Estatz pour les Eveschez de Nantes et Vannes". Les "Estatz de Bretaigne" ont passé en effet avec lui un bail à ferme par lettre patente de la même année "pour prendre certaine somme ou certaine pipe de vin entrant en Bretaigne". Les marchands, à qui le fermier réclame ce droit, refusent de s'en acquitter. "Ledict fermier de cette Dace, pour le reffuz faict par les particuliers marchans de paier, faict saisir et arrester quelque quantité dudit vin". La contestation se poursuivant, les parties ont recours au prévôt de Nantes, devant lequel comparait le député des marchands de Nantes qui ne reconnaît pas la compétence du prévôt en cette matière. Celui-ci rend pourtant, le 14 décembre une sentence en faveur du fermier. Dans son jugement, le prévôt prévoit toutefois de faire éclaircir la réalité de cette taxation "devant le commissaire de la Dace afin de faire amplifier au plus tot que déclarer et exprimer la pancharte". La dace est une taxe perçue sur les marchandises, particulièrement aux entrées des villes (octroi) et la pancharte (pancharta en latin médiéval) doit se référer ici, soit aux anciennes chartes justificatives de droits, soit aux affiches mentionnant ces droits.

 

Les marchands vont faire appel de ce jugement et leur cause est alors plaidée en février 1582 devant le Parlement de Bretagne. Brussel, procureur des appelants  rappelle alors un des privilèges des marchands nantais : "Notera la cour s'il luy plaist, que par ses lettres d'octrois et permission est ezpressément porté que si le vin est destiné pour estre transporté oultre le païs. Soit en Angleterre Espagne, ou Flandres, et soit seulement chargé de bateaux en navires qui ne sera deu aucune impositi'o fors et excepté pour les vins de Palme, Gascongne, Espaigne, la Rochelle, et païs d'Aulnis. Quand ausquelz encore qu'il y eust changement de bateau en navire le droit sera précisé."

 

Le procureur général du roi plaide aussi en faveur des négociants nantais en déclarant "Est le privilège des marchands plus ancien que celui prétendu par les Estatz de Bretaigne lequel ils n'ont veu".

 

Les marchands ont finalement gain de cause et dans le jugement du 22 février 1582 adressé à Monsieur le Premier Président "la cour faict droict pour l'appel interjetté du prévôt de Nantes ou son lieutenant, dict qu'il a esté mal et incompétament jugé par luy … et par conséquent a cassé, révoqué et adnullé ladicte sentence…et condamne ledict inthimé es despens dommages et interetz à rendre et restituer tout ce que a esté prins et levé sur les appellans".

 

Quels enseignements peut-on tirer de cette anecdote ?

 

A la fin du XVIe siècle, le trafic du vin (il s'agit ici de "vin de cour") est, avec le sel, une des produits de base du commerce nantais. L'exportation n'est pas taxée, à l'exception notable dans le cadre du royaume, de la "Gascongne " et du "païs d'Aulnis", principaux concurrents des vins du Val de Loire avec les grands ports de débouchés de Bordeaux et la Rochelle. Le transbordement nécessité par le changement de navires avant d'aborder le cabotage côtier vers les destinations flamandes favorise ici la taxation et souligne l'importance des petits ports situés entre Nantes et l'estuaire. Ce conflit de compétence fiscale s'inscrit, un demi siècle après le traité d'union de 1532, dans la perspective de l'opposition entre le pouvoir royal et la province. Le roi, par l'intermédiaire de son procureur général, prend ici ouvertement parti pour les négociants nantais contre les Etats de Bretagne dont les droits sont contestés. La plus grande liberté commerciale ainsi acquise par les nantais va favoriser l'emprise de la grande ville sur l'estuaire.

 

Les marchands nantais, conscients de l'importance d'une telle jurisprudence feront imprimer cet arrêt. 

 

Source :

 

Médiathèque de Nantes N° 51617R "Arrest pour Jehan Morin…" publié à Orléans en 1595 par Fabian Hotot imprimeur et libraire juré de l'Université.

 

 

Tag(s) : #Raconter son village